Le match était-il joué d’avance tant les rosés de Provence imposent leur suprématie sur le marché mondial ? Bordeaux produit bien de plus en plus de rosés, lointains descendants des clairets, dont ils ont perdu la couleur intense, pour mieux coller à la tendance actuelle, imposée par les Provençaux. Mais qu’en est-il en réalité ? La Provence est-elle imbattable sur son propre terrain ? Un match s’imposait donc entre Bordeaux et Provence.
Le vignoble provençal est le premier vignoble de vins rosés au monde : la couleur représente 91% des volumes des appellations côtes de Provence, coteaux varois en Provence et coteaux d’Aix-en-Provence réunies au sein du Comité Interprofessionel des Vins de Provence et 77% de l’appellation Bandol. Sur le versant océanique, à Bordeaux, le rosé ne représente que 4% de la production totale du vignoble. Du côté provençal, grenache, mourvèdre, syrah, cinsault, rolle et tibouren, à Bordeaux essentiellement cabernet sauvignon et merlot. Le combat pouvait être inégal, d’un côté du soleil et des raisins fait pour le rosé, de l’autre un climat océanique et des cépages plutôt identitaires des rouges. D’un côté des parcelles dédiées à la couleur, de l’autre des vins rosés issus d’un premier jus, de saignée, de vignes jeunes ou moins bien placées.
Pour ce match, 28 bouteilles ont été achetées, 12 d’entres elles étaient des bordeaux rosés et 16 venaient de Provence pour une fourchette de prix de 5 € à 22 €. Les bordeaux affichaient en majorité moins de 10 € la bouteille, leurs adversaires au-delà de 10 €. Cette dégustation a été réalisée aux Caves Legrand, à Paris, en aveugle total. C’est-à-dire que non seulement les bouteilles étaient masquées, mais toutes les cuvées – notamment en Provence, ayant des bouteilles aux formes originales – ont été transvasées dans des bouteilles de Bordeaux, afin de créer un anonymat complet.
Chaque dégustateur devait estimer un prix de vente public et positionner l’échantillon dans la bonne région : Bordeaux ou Provence. Les dégustateurs peu généreux sont rarement allés au-delà de 15 euros, sauf David Biraud et Pierre Vila Palleja (deux sommeliers) qui firent monter les prix. Il fut impossible de différencier les vins par leur couleur, les robes sont toutes les mêmes : pâles, saumonées ou couleur sable grisé, certains ont été acidifié compte tenu de la chaleur du millésime 2022.
Premier constat, ce match est beaucoup plus serré qu’imaginé. Et il a souvent été difficile de situer les vins dans la région d’origine. La technique prend le pas sur l’identité pour produire des rosés interchangeables, en phase avec le marché, ce qui rend encore plus difficile le jugement. Du côté provençal, le soleil associé au grenache offre des rosés plus charnus au milieu de bouche plus gras. A l’Ouest, on ne vous apprendra rien de nouveau, les vins sont plus froids, plus structurés. Et pourtant dans le peloton de tête, Bordeaux vient tenir tête à des cuvées provençales, avec des vins abordables, Tutiac rosé ZRP (zéro résidu de pesticide), ou le Mouton Cadet rosé bio, tous deux très bien positionnés. Et créent la surprise générale au sein des dégustateurs. Deux vins techniques, bien faits et finalement agréables à la dégustation.
La note qui apparait sur chaque vin dégusté est la moyenne des notes cumulées des dégustateurs. Certaines cuvées sont d’ailleurs pénalisées par le grand écart entre les notes. C’est la raison pour laquelle la note peut sembler plus basse qu’en temps normal.
Les conditions de la dégustation :
Des rosés 2022 ont été achetés et dégustés à l’aveugle le 11 mai 2023 à la Cave Legrand Filles et fils à Paris par un comité de dégustation composé de David Biraud, chef sommelier au Mandarin Oriental à Paris, finaliste au Mondial de Sommellerie en 2019 et des membres du Comité de dégustation de La Revue du vin de France : Karine Valentin, Olivier Poels, Pierre Vila Palleja et Jérôme Baudouin, rédacteur en chef du magazine. Les dégustateurs devaient commenter les vins, les noter, leur donner un prix et placer chacun des échantillons dans la bonne région… La compétition se révéla surprenante.
2ème ex aequo
90,2/100
Côtes de Provence
Château de la Tour de l’Evêque
Pétale de Rose 2022
Du gras et du velours, sur une légère sucrosité. Reflet pétale de rose (David Biraud) , belle intensité, compotée et marmelade, le palais est rond charnu et bel équilibre, « possibilité d’élevage en fûts » raté pour David. Belle persistance aromatique et bon cœur de bouche. Gras voluptueux et « joli travail sur les lies » pour Pierre Vila Palleja.
Prix estimé par les dégustateurs : de 5 à 25 €
Prix réel : 18 €